A propos du Ketch "Tahiti"...

(recueillies par Gérard Bourgeat)

Un jour, j'eus la visite du navigateur américain Tom Steele qui me raconta ses mésaventures à bord du ketch Adios (type "Tahiti ketch", 30 pieds). Dans la phase finale de son voyage autour du monde, Steele avait quitté Durban pour Capetown, peu avant l'arrivée du Kurun. Il ne parvint pas à destination. Quelques jours après son départ, il essuyait un coup de temps avec des vents de soixante-quinze milles à l'heure. Le petit ketch fut mis à mal. D'abord, la mer emporta son embarcation, sa grand voile et sa bôme. Puis le mât d'artimon fut arraché, ainsi que le gouvernail. Le ketch, couché complètement sur l'eau, faillit chavirer. Un paquet de mer défonça le rouf.
L'Adios était désemparé. L'état du temps était tel qu'il fut impossible de lui porter assistance. Enfin, le coup de vent passé, Steele réussit, par les moyens du bord, à mener son bateau dans le petit port de pêche de Knysna, à quelques quarante milles dans l'est de Mossel Bay.


Jean-Yves Le Toumelin. KURUN autour du monde 1949-1952. (pp 283-284) Flammarion Ed, Paris, 1953.
 

Le bordé d'un Tahiti ketch (neuf mètre) mesure entre vingt-sept et vingt-neufmillimètres d'épaisseur. C'est nettement plus que le nécessaire sur le plan mécanique, mais cette forte épaisseur permet un bon calfatage. Quelques galeries de tarets ne diminuent vraiment pas la solidité de l'ensemble, ni même celle du bordé en question.

Bernard Moitessier. Tamata et l'Alliance. (pp. 382). Arthaud Ed. Paris, 1993.

 
Je me rends bien compte qu'en parlant de "bons et solides voiliers", le laisse la porte ouverte à toutes les interprétations surannées ou fantaisistes qu'engendre ce qualificatif vague. Pour ma part, je n'avais aucune expérience de la croisière avant de naviguer sur Trismus. Pour moi, comme pour beaucoup d'autres, la croisière était synonyme de ketch norvégien. C'était l'archétype du bateau costaud et marin. Il ne m'a pas fallu cinq ans d'utilisation pour me rendre compte que cette forme de coque est peu adaptée à la croisière en général et à la navigation dans les mers difficiles en particulier. Ne parlons pas de l'habitabilité perdue. Il est évident qu'avec un arrière plus large, on dispose d'une cabine agréable dans un des endroits les plus confortables du bateau au lieu d'être condamné à utiliser cet endroit comme fourre-tout. Je m'insurge surtout sur ce qu'on a appelé les qualités marines de norvégien pour un voilier. Et ce, pour trois raisons:
1. Le norvégien est un bateau généralement lent et particulièrement inapte à remonter le vent. Quand, sur la carte, on trace un parcours au près, il ne faut pas s'étonner d'un écart de 120° entre les deux amures. Pouvoir remonter au vent d'une côte, par exemple, est un facteur important de sécurité et d'agrément dés que l'on quitte "l'autoroute" des alizées.
2. De par son importante surface mouillée et son défaut de franc-bord, le norvégien manque particulièrement de flottabilité. Non seulement il mouille mais, dés que les vagues s'y mettent, le pont est perpétuellement balayé par des masses d'eau importantes.
3. Enfin et surtout, la réputation de l'arrière norvégien est, à mon avis, surfaite pour la navigation dans les hautes latitudes ou dans toute mer forte de l'arrière. Cette poupe sans flottabilité s'enfonce presque entièrement lorsque le bateau part en surf, rendant la barre dure et le voilier peu manoeuvrant. Il est pour moi essentiel d'avoir un bateau capable de "lever les fesses" dans les grosses mers et, par des formes arrières plus plates, capable de partir en survitesse en restant docile à la barre. La vieille théorie qui consiste à dire que l'arrière norvégien ou canoë coupe la vague et l'empêche de démolir le bateau est enfantine. Il n'y a pas d'exemple d'une vague faisant par elle-même du dégât sur un bateau navigant : le choc d'une déferlante est très puissant mais relativement doux. Les dégâts sont la cause d'un placage de la coque ou du gréement sur la masse liquide sous le vent...
Pour conclure, on peut dire qu'on prend un risque en naviguant dans les hautes latitudes. De toute façon.

Patrick Van God. TRISMUS, des îles du Cap-Vert aux Galápagos par le Cap-Horn et la Patagonie. (pp. 251-252) Arthaud Ed, Paris, 1974.

   
 

A John Hanna cruising design for a roomy 30-footer. She was slow, but well balanced, rugged, and took a lot of dreamers to Tahiti and beyond.


P81 in "The Complete sailor" International Marine. Camden, Maine. 1995
By David Seidman. (16 $)

   
 

Il y a beaucoup de bateaux de plaisance à Durban ...Mais il en est qui m'intéressent plus particulièrement, tel l'Atom de Jean Gau... un tahiti-ketch confortable qui ne me plairait guère parce que lent et dont les aptitudes à remonter contre le vent doivent être assez médiocres. Ce qui n'empêcha pas mon collègue aîné de réaliser son petit tour du monde <<en pépère>>". (et même un deuxième et une dizaine de transats! NDLR).


Marcel Bardiaux, in " Aux 4 vents de l'aventure" t 2. Par le chemin des écoliers. (P 229-230), L'aventure vécue. Flammarion Ed, Paris, 1959

 

A peine entrés dans la baie (de Tai-Hoé, Nuku Hiva, Marquises. NDLR), nous fûmes entourés de montagnes gigantesques...Sur le coup de midi, deux bateaux pénétrèrent dans la baie... L'autre était un Tahiti-ketch."


Rosie Swale in "Les enfants du Cap Horn" (P 106), Arthaud Ed, Paris, 1974

 
A propos de l'Atom de jean Gau, j'ai déjà tout dit le "bien" que je pensais du Tahiti-ketch, qui a les formes d'un mauvais bateau de pêche et qui est incapable de virer de bord vent devant à la voile seule. On peut se demander comment un certain nombre de bateaux de ce type ont pu s'illustrer, d'une façon ou d'une autre. Il fallait que leurs propriétaires soient réellement de rudes marins ! Avec de bons bateaux, que n'auraient alors pu faire de tels hommes ?

p.160 à propos de l'Adios, Maurice Amiet, Bateaux de l'Aventures, éditions Le Chasse-Marée- Estran (1986)

   
 

Loisirs Nautiques:


N° 156 Oct 84 " L'arlésienne ou les grandes vacances sabbatiques pp48-49 à suivre...


N° 180 Oct 86 "Rétro mais pas ringard!" pp 18-20.


N° 185 Mars 87 "Le tahiti ketch est-il un bateau de mer?" pp 48-49.


N° 211 Mai 89 " Empyrée: l'histoire d'une rénovation". pp 37-39.

   
 
Arrivée de Jean Gau sur Atom (Son Tahiti ketch, fin 1955 à Durban NDLR)

« Un matin, alors que je me rends à terre pour mon travail, à la godille comme tous les jours, un nouveau bateau attire mon attention…
Il n’y a pas à se tromper, celui-ci vient de loin…
Le nom du ketch est Atom. Le voila donc, ce beau voilier dont parlent les livres de Jean Merrien…

Jean Gau a cinquante ans passés… Mais Jean Gau est un sage et un grand prudent…
Cela se passait à l’entrée du détroit de Torrès. Le vent mollit brusquement. La grosse houle du Pacifique brisait avec violence sur les têtes de corail qui bordent l’entrée du détroit et…le courant y entraînait Atom. Mais il restait assez de brise pour manœuvrer et Jean était calme comme il l’est toujours. Puis brusquement, le vent tomba tout à fait, plus un souffle. Le courant, augmenta de vitesse, porta droit sur les coraux et brusquement Jean comprit que c’était le naufrage imminent car le fond était trop loin pour que l’ancre y crochât. C’était la fin. Les naufrages arrivent souvent parfois de cette façon. En un éclair, on comprend brusquement que c’est la fin et quelques secondes plus tard, c’est effectivement fini, une page est tournée…
Mais le marin, quand ce genre de chose se produit, ne pense à rien. Et Jean ne pensa même pas à son moteur dont il avait oublié l’existence parce qu’il en avait huilé les cylindres avant le départ de Christmas-Island, dans le Pacifique, et dont il ne comptait pas se servir avant d’entrer à Durban…Il descendit, titubant, dans la cabine. Il voulait une cigarette…le briquet ne fonctionnait pas ! Essence évaporée…Essence ! Moteur ! Moteur !...
Il se jeta sur le démarreur. Miracle ! Cette mécanique démarra du premier coup, sans tousser. Il l’avait échappé belle.

Arrivée des Quatre-Vents

Deux jours après l’entrée au port de Jean Gau, c’est Bardiaux qui apparaît !... »


La théorie de Jean Gau

« Voici, d’après ce que nous dit Jean Gau, la manière de capeyer qui lui paraissait la plus sûre : sur la trinquette étarquée à bloc aussi près que possible de l’axe du bateau, la barre étant poussée en grand sous le vent. Le bateau se tient alors par le travers de la mer sans faire route et dérive suffisamment pour être protégé. Si le vent diminue d’intensité et si la mer reste dangereuse, Jean Gau hisse éventuellement la voile d’artimon tout en laissant la barre dessous. Le bateau se tient alors un peu plus près du lit du vent, oscillant entre le vent de travers et le plus près. Il est suffisamment protégé par le remous de dérive…
Quant à l’ancre flottante, très peu pour moi, ajoute-t-il…utilisée pour la dernière fois sur Onda, cette fichue ancre flottante, filée sur l’avant, retenait tellement bien l’étrave face à la lame qu’elle donnait des chocs terribles sur la bitte d’amarrage, à tel point que je croyais à chaque instant que l’étrave allait se séparer du reste !...Et, il fallait voir les vagues déferler sur le bateau qui, faisant face, n’était alors protégé par aucun remous. Finalement, j’ai pris mon couteau et zip ! Un bon coup dans l’aussière pour me débarrasser de cette garce… »

In Vagabond des mers du sud, Bernard Moitessier, Flammarion, premier Ed, Arthaud Editeur, 1988. Coll J’AI LU. 1999 (p 68-77).

   
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